« Les habitants mènent une vie normale, c’est ce qui est effrayant »

Mika Noro dirige l’association japonaise Tchernobyl no Kakehashi, « le pont vers Tchernobyl », qui vient en aide aux enfants victimes de la catastrophe de Tchernobyl et en accueille chaque années plusieurs sur l’île de Tohoku, à l’extrême nord du Japon.


(traduction Satoko Fujimoto)

Qu’est-ce qui vous a menée auprès des enfants victimes de Tchernobyl?

Je suis tombée enceinte en 1989, soit trois ans après l’accident de Tchernobyl. A l’époque, les mamans japonaises élevaient les enfants dans une certaine angoisse face au nucléaire. Quelle peine ce sera, de voir son propre petit souffrir et pleurer à cause de la radioactivité ? Nous nous sommes senties si proches des mères de Tchernobyl, perdues sans aucun remède. C’est pourquoi nous avons voulu entamer le soutien des mères, instituteurs et médecins de la République du Biélorussie. Ils prennent des risques en envoyant leurs enfants aux pays étrangers.

En 19 ans, nous avons accueilli 648 enfants au Japon, ce qui doit être insignifiant par rapport aux familles d’accueil européennes. Ce sont tous des citoyens bénévoles. Au Japon, il y a peu de soutien public pour le bénévolat, ou de mesures favorables d’imposition. Mais à travers les séjours des enfants biélorusses, nous avons pu tisser un lien local et familial entre les deux peuples, nous avons même le sentiment de nous être entraidés pour élever nos enfants. Maintenant, ils ont grandi, certains se sont mariés et ont trouvé un travail qu’ils voulaient. Ces nouvelles nous ont rassuré.

Comment avez-vous réagi à l’accident de la centrale de Fukushima Daiichi?

A la vue de l’explosion de la centrale de Fukushima, tout mon corps s’est mis à trembler et je n’ai pas pu l’arrêter. Tout ce que j’ai fait, c’est de prier secours au Créateur auquel je crois, pour que l’accident ne s’aggrave pas. Je sais bien qu’une fois l’atome dégénéré, les efforts humains ne suffisent pas pour s’en sortir. Si l’état de la centrale demeure à ce stade, c’est grâce à la prière venant du monde entier. C’est du moins ce que je pense. La situation est en main « divine » mais le résultat peut changer selon les efforts et les dévouements humains. Comment peut-on penser autrement ?

D’innombrables fois j’ai vu les larmes des mamans de Tchernobyl, celles qui ont perdu leurs maris aimés comme liquidateurs de l’accident de la centrale, les personnes âgées ayant perdu leurs villages qui se sombrent dans la tristesse, et les enfants ayant accumulé les substances radioactives dans le corps. Les nourritures sont contaminées et les paysans cultivent la terre polluée tout en le sachant. Dès que les enfants ont des grosseurs, ils se demandent s’il ne s’agit pas d’un cancer. J’ai immédiatement pensé à ce que vivent ces Biélorusses. Même si c’est la catastrophe naturelle qui a appuyé sur la détente, il n’en est pas moins une catastrophe humaine, étant donné que de nombreux avertissements du danger n’ont pas été entendus.

Comment voyez-vous l’avenir des habitants de la région?

Certains veulent encourager le Fukushima en achetant à Tokyo des produits agricoles dela région. Maisje trouve que cela reste un soutien sentimental. Si on pense vraiment aux habitants de Fukushima, il faut les emmener dans un territoire non radioactif et faire interrompre l’agriculture en attendant que la situation se calme. Cela entraîne effectivement un dégât économique important, mais cela fait parti du risque et du coût même d’une centrale nucléaire. Plus on soutient de façon superficielle, plus on paraîtrait tricheur aux yeux des pays étrangers. A long terme, des doutes s’installeraient sur tous les produits agricoles japonais et le dégât serait encore plus considérable.

Quoi qu’il en soit, nous ne savons pas les zones sûres tant que la situation n’est pas calmée. En vue de la potentielle contamination à l’intérieur du corps à travers les nourritures, il ne faut pas adoucir les critères de contrôle mais au contraire les rendre les plus sévères possibles. C’est le seul avenir que le Japon peut espérer pour gagner confiance à l’échelle internationale. Je souhaite qu’il ne commette pas la même erreur qu’à Tchernobyl.

Nous avons visité la ville de Koriyama au département de Fukushima et avons mesuré 8microSv de radioactivité. Aujourd’hui, il faut aller au fond de la zone interdite de Tchernobyl pour avoir un tel chiffre. Dans cet état anormal, les habitants mènent leur vie normale. C’est ça qui est effrayant. Je souhaite que les enfants au moins puissent se réfugier collectivement. Nous avons reçu une offre d’accueil en Italie et nous l’apprécions beaucoup. Nous avons également lancé un appel de refuge en espérant réveiller les habitants du territoire.

Imaginez que dans la rue, on vous verse tout à coup de la cendre par la tête et vous dit : « ne vous inquiétez pas, ce chiffre n’a pas de conséquence immédiate à votre vie ». C’est ce genre d’aberration qu’on entend tous les jours àla télé. Lacendre mortelle de la radioactivité est transparente et invisible, les habitants de Fukushima et les Japonais se sont déjà habitués. Mais ce serait bizarre si on partait recouvert de centre en se disant : « bon ben, ça va alors ». Au contraire, on se protesterait, même s’il s’agit d’une petite quantité. C’est comme un genre d’esclavage. La radioactivité étant invisible, on perd le jugement correct.

J’ai l’impression que les données concernant la radioactivité sont écrites au crayon et que quelqu’un les gomme et les modifie comme il l’entend. Au Biélorussie, certains chercheurs ont été arrêtés. Au Japon, le procès des victimes de la radiation à faibles doses a enfin achevé il y a deux ans avec victoire des plaignants, mais peu d’entre nous sont au courant. Que ce soit à dose faible ou forte, les substances radioactives agissent de façon dangereuse à l’intérieur du corps. En 2009, ont été officialisées des photos de cellule d’une victime de Nagasaki, dans lesquelles on voit le plutonium encore actif.

Les enfants courent, chantent et dansent dans une verdure fraîche, insouciants et se réjouissant du chant des oiseaux, des récoltes agricoles et de pêche. Au lieu de goûter à ce bonheur simple, l’idée de la radioactivité ne nous quittera désormais plus.

Qu’avons-nous sacrifié ? Nous les Japonais le comprendrons au cours des années, avec les dégâts que nous allons découvrir au fur et à mesure. C’est notre façon de vivre qui est mise en question. Qu’est-ce qui est le plus important pour les êtres humains ? Nous devons réfléchir comment faire de nos centrales dans notre pays si exposé aux séismes. Ce qu’il nous faut actuellement, c’est une détermination de protéger le peuple, en retournant aux normes d’avant l’accident.

Pour finir, laissez-moi chanter ; « Seul l’amour peut gagner contre la radioactivité ». C’est ce que j’ai ressenti à travers les expériences à Tchernobyl. Si les professeurs, les médecins, les mères et les pères, ainsi que tous les adultes s’en occupaient avec amour, les dégâts chez les enfants pourraient rester minimaux. J’y crois.

Entretien réalisé par Anne Roy

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