japon: la colère des évacués


Autour de la centrale de Fukushima, les corps d?un millier de victimes n?ont toujours pas été extraits, trois semaines après. Et le bras de fer se poursuit sur la zone d?évacuation. 

«Toute ma ville d?origine, Namie-machi, qui est sur la côte, a été emportée par le tsunami. Mes parents eux aussi ont été emportés et je ne sais toujours pas où ils sont. En temps normal, je me précipiterais chez eux dès que possible? mais je ne peux même pas entrer dans la zone parce qu?elle a été évacuée. Et les forces d?autodéfense ne font aucune recherche par-là. »

C?est le Wall Street Journal qui publie ce mail d?un ouvrier anonyme, à l?œuvre sur le site de la centrale de Fukushima Daini (la jumelle de Daichi). Un témoignage rare sur la terrible condition de ceux qui travaillent comme des forçats pour tenter de contenir les réacteurs, tout en partageant le lot des habitants de la zone évacuée ? vingt kilomètres autour de la centrale.

Trois semaines après le séisme et le tsunami, en raison des niveaux de radioactivité qui empêchent tout secours, ils sont encore nombreux dans cette zone à ne toujours pas savoir si les leurs sont morts ou disparus. Au point que la police de Fukushima a annoncé, hier, que les corps d?un millier de victimes du tsunami et du tremblement de terre se trouvaient encore dans la zone sans pouvoir en être extraits, en raison, toujours, des risques liés à la radioactivité.

Pour les habitants, la colère monte. Au point que, raconte l?ouvrier dans son mail, « il semble que leur ressentiment soit à ce point exacerbé qu?ils en viennent à penser dans leur for intérieur que Tepco est responsable du séisme lui-même ».

Au-delà du sort de ces sinistrés se pose désormais celui des habitants des zones environnantes, que le gouvernement japonais se refuse toujours à évacuer, jouant sur les termes des recommandations de l?Agence internationale de l?énergie atomique (AIEA), qui a relevé, à une quarantaine de kilomètres de la centrale, des niveaux de radiation supérieurs aux limites prévues. Dépassé, le gouvernement ne dispose pas de structures suffisantes permettant d?accueillir ces réfugiés ? dont 60 000 se retrouvent d?ores et déjà au chômage technique, a annoncé avant-hier le bureau du travail de Fukushima.

 

Anne Roy

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Pierre-François Souyri « Il y a eu un avant et après séisme du Kanto »


En 1923, un tremblement de terre dans la région du Kanto suivi d?un incendie faisait des dizaines de milliers de morts. Retour sur l?événement avec l?historien du Japon Pierre-François Souyri, au regard de la catastrophe vécue actuellement par les habitants du nord-est du Japon. 

Dans un Tokyo fait de maisons en bois, la terre en tremblant a renversé les braseros allumés pour préparer le déjeuner de midi? Le 1er?septembre 1923, un séisme de magnitude 7,9 touchait Tokyo et Yokohama (une région appelée le Kanto) et déclenchait un formidable incendie ? d?une violence telle que même la rivière Sumida s?est mise à bouillir. Bilan?: 140?000 morts, dont 100?000 au moins imputables à l?incendie. L?historien du Japon Pierre-François Souyri, enseignant à l?université de Genève (1), analyse cet événement majeur, au regard de la catastrophe que vivent actuellement les habitants du Tohoku, dans le nord-est du Japon.

Quelles ont été les conséquences du tremblement de terre de 1923??

Pierre-François Souyri. Un traumatisme fort, un événement majeur de la période. Il y a eu un avant et un après-tremblement de terre du Kanto. Dans les jours qui ont suivi, des rumeurs se sont répandues. Plusieurs dizaines de milliers de travailleurs coréens, importés au Japon comme main-d?œuvre, ont été accusés d?empoisonner les puits. Les policiers ont incité les sauveteurs à les repérer et à les lyncher. On pense qu?il y a eu environ 6?000 morts parmi les Coréens et plusieurs centaines parmi les Chinois. Par ailleurs, des responsables de la police de Tokyo ont arrêté des leaders anarchistes, en particulier Osugi Sakae, un des chefs du mouvement anarcho-syndicaliste, avec sa femme et leur neveu qui avait sept ans. Ils ont été étranglés dans les locaux du commissariat. Un certain nombre de crimes ont ainsi été commis directement par la police, jusqu?à ce que des intellectuels japonais tapent du poing sur la table et que le gouvernement réagisse, finalement, en imposant un couvre-feu.

Est-ce que les autorités ont été, à l?époque, contestées pour leur gestion de la catastrophe??

Pierre-François Souyri. Il n?y a pas eu de mise en cause en tant que telle des autorités car c?est plutôt la société locale qui a pris en charge les secours immédiats. Il n?y avait pas, à l?époque, de services spécialisés dans la lutte et la prévention contre les tremblements de terre. C?est la société japonaise dans sa structure même qui a réagi, via les associations de quartier. L?État est assez peu intervenu. Très rapidement, des maisons ont été reconstruites, la plupart du temps à l?identique, même si, pour la première fois, on a vu apparaître quelques bâtiments à étages en béton pour prévenir séismes et incendies. Parmi les mesures prises par les autorités, il y a eu aussi la mise en place d?un service de TSF avec des émissions de musique et d?information. Là remontent les origines de la NHK, la télévision japonaise, qui fut d?abord une radio d?État. L?idée était de permettre aux gens de mieux comprendre ce qui se passait et de pallier l?absence des journaux, détruits par le tremblement de terre et l?incendie, ce qui laissait le champ libre à toutes les rumeurs. Le Japon fut ainsi l?un des premiers pays à se doter d?une TSF pour mieux contrôler l?information.

Est-ce qu?on peut dresser des parallèles entre les événements de 1923 et le tsunami du Tohoku ?

Pierre-François Souyri. Les deux sont assez différents. Dans un cas on a un séisme urbain, dans l?autre un séisme suivi d?un tsunami dans une région rurale et une alerte nucléaire. Par ailleurs, dans le séisme actuel, ce sont des personnes principalement âgées qui ont été touchées puisque la plupart des jeunes ont quitté les campagnes et les petits ports. Un phénomène qu?on n?avait pas en 1923. De même, à l?époque, les rumeurs les plus folles ont couru faute de communication d?État. Aujourd?hui, c?est presque l?inverse. C?est la communication d?État, peu transparente, qui contribue à colporter des rumeurs, tandis que les Japonais s?informent par le biais de médias libres comme Internet et Twitter.

Est-ce que de cette crise pourrait naître un changement institutionnel ?

Pierre-François Souyri. On sent monter au niveau local et associatif un mécontentement. Les secours ont beaucoup patiné avant d?arriver jusqu?aux villages les plus touchés par le tsunami. Et, surtout, le gouvernement a cherché, dans un premier temps, à dissuader les volontaires de venir en aide aux sinistrés, prétendant qu?ils allaient poser plus de problèmes, notamment de logistique, qu?ils n?allaient en régler. Or, au bout de quelques jours, ces mêmes volontaires ont décidé de partir tout de même et se sont rendu compte, sur place, qu?il n?y avait pas de sauveteurs et que toutes les volontés étaient bonnes à prendre. Bref, une critique se développe à l?égard des autorités, sur le manque de transparence de l?information, sur la gestion de la crise nucléaire, sur la collusion entre la bureaucratie et le lobby nucléaire… On sent qu?il va y avoir des règlements de comptes, mais il est difficile de savoir si cela entraînera un changement politique. Le Japon n?est pas un pays où l?on descend dans la rue pour manifester. Mais cela va peut-être donner naissance à des mouvements civiques, qui peuvent jouer un rôle considérable de lobby ou d?antilobby.

Y a-t-il eu des rumeurs liées à la catastrophe comme en 1923 ?

Pierre-François Souyri. Des rumeurs comme en 1923, non. Mais des déclarations extravagantes, oui. Quelques jours après le tsunami, Shintaro Ishihara, le gouverneur de Tokyo, connu pour son populisme de droite et ses déclarations appelant à se méfier des immigrés «?pilleurs?» en cas de séisme, a expliqué que ce tremblement de terre pourrait bien être un châtiment du ciel contre tous ceux qui ne respectent pas les valeurs du vrai Japon et qui ont capitulé devant la globalisation, la domination du Japon par l?étranger… Il s?est pris, évidemment, une volée de bois vert. Mais, quelque part, cette idée que le tremblement de terre est un châtiment du ciel est une vieille idée en Extrême-Orient. Le séisme est la manifestation divine que les choses de l?État vont mal, que les dirigeants sont corrompus. En Chine, autrefois, on changeait le nom de l?ère de façon à revenir à l?an 1 et on amnistiait les prisonniers. Au Japon, on décrétait des édits d?abolition des dettes à l?issue d?un désastre naturel, pour relâcher la pression sociale sur la population. Souvent, dans un contexte de crise économique, politique ou de guerre civile, quand il y avait un séisme, les populations tournaient leur regard vers les dirigeants en leur demandant des comptes. C?est un peu ce qu?on a ici au Japon. Un populiste de droite pourra interpréter ça comme un châtiment du ciel, on peut aussi l?interpréter comme une sorte de ras-le-bol contre un gouvernement qui n?est plus efficace.

Le thème de la catastrophe ?est-il une figure récurrente de l?imaginaire japonais??

Pierre-François Souyri. Dans l?histoire du Japon il y a souvent eu des éruptions violentes, des tremblements de terre. Ce sont même les Japonais qui ont inventé le mot tsunami. La nature n?y est pas toujours facile et il y a un sentiment du caractère éphémère de la vie, de l?impermanence des choses qui est tout à fait prégnant. Dans l?imaginaire, notamment de la sous-culture, je pense au cinéma de série B, aux mangas ou à la littérature de gare, on retrouve de façon récurrente le thème de la catastrophe, du cataclysme. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, il y a eu la série des Godzilla, une espèce de reptile qui dort et qui est réveillé par les bombes nucléaires américaines. Affolé, ayant perdu ses repères, il se met à détruire la ville. On s?aperçoit en fait que ce Godzilla est bon, mais c?est la folie de l?homme qui l?a réveillé. À la fin des années cinquante, un roman de Sakyo Komatsu, publié en français sous le titre la Submersion du Japon, décrit le Japon englouti dans la mer à la suite d?un cataclysme sismique. Le gouvernement du Japon demande alors à l?ONU d?évacuer la population japonaise. Et des débats ont alors lieu pour savoir combien de Japonais seront accueillis par tel ou tel pays. Dans les mangas, il y a aussi ce thème de la submersion, de l?apocalypse soit tellurique, soit liée à la folie des hommes. Les Japonais sont quand même la seule population qui ait connu le phénomène d?irradiation nucléaire. Le nucléaire, plus l?instabilité géologique du pays, favorise ce genre d?imagination. Deux ingrédients qu?on retrouve dans la catastrophe actuelle qui va certainement relancer l?imaginaire. Pour autant, ce n?est pas le tremblement de terre de 1923 qui a spécifiquement déclenché cette littérature catastrophique, mais plutôt les explosions nucléaires de 1945.

(1) Derniers ouvrages parus?: le Japon des Japonais (avec Philippe Pons), Éditions Liana Levi, 2002 et la Nouvelle Histoire du Japon, Éditions Perrin, Lonrai 2010.
Entretien réalisé par Anne Roy

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Situation critique sur la côte nord-est du Japon, Tokyo menacée par la panne

Les secours peinent à venir en aide aux 500 000 sinistrés du Nord, où un froid intense s?installe. Dans la capitale nipponne, le gouvernement met en garde contre les risques de coupures d?électricité inopinées. 

«Il faut rentrer vite, l?électricité risque d?être coupée très largement dans la région de Kanto. Moi, je rentre chez moi maintenant. » La veille, Yoko dissertait sur la nécessité pour elle comme pour les autres habitants de Tokyo de continuer à travailler pour « soutenir l?économie nationale ». La voilà désormais qui lance l?alerte via les réseaux sociaux.

Hier, le gouvernement japonais a mis en garde contre une coupure générale d?électricité imprévue et demandé aux trains de s?arrêter de circuler dans la capitale nipponne, désertée par les expatriés et une petite minorité de Japonais seulement, principalement des femmes et des enfants. La cause de cette panne, qui finalement a pu être évitée : une demande en électricité qui s?était faite plus forte la nuit précédente en raison du froid. Les habitants qui restent respectent aussi scrupuleusement que possible les consignes officielles qui recommandent de faire des économies.

Magasins fermés, transports ferroviaires ralentis, ouvriers et employés renvoyés chez eux… la préoccupation logistique est devenue courante ? et handicapante ? dans la capitale. Mais elle n?est rien, bien sûr, à côté de la tragédie des réfugiés du tsunami. Ils sont en effet toujours plus de 500 000 sans abri sur la côte nord-est, où les secours peinent à s?organiser et où le froid intense et les chutes de neige viennent encore davantage peser sur les conditions de vie.

850 000 foyers restaient hier privés d?électricité et 1,5?million d?eau courante. Résultat : de nombreuses personnes tombent malades, « souffrent de diarrhée et d?autres symptômes », comme le confiait Takanori Watanabe, un médecin de la Croix-Rouge à Otsuchi. Une ville dans laquelle plus de la moitié des 17?000 habitants sont encore portés disparus.

Aux alentours de la centrale, entre le périmètre évacué et celui où les habitants sont invités à se confiner chez eux, l?aide ne parvient plus, ni même le simple approvisionnement. Dans toute cette région, faute d?essence, ceux qui veulent se déplacer sont contraints de le faire à pied. Bref, la situation devient chaque jour un peu plus critique.

Sans compter la neige, qui commence à tomber, plus concentrée en radioactivité. Là-bas plus qu?ailleurs, les coupures de courant sont vécues comme autant d?épreuves.
Anne Roy

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Tokyo tourne au ralenti

Alors que de plus en plus d?entreprises recommandent à leurs employés de rester chez eux, ?les habitants de ?la capitale nippone se refusent encore, pour la plupart, à déserter et veulent garder espoir. 

Trois jours qu?ils étaient réfugiés à Osaka, loin de Tokyo et des premières retombées radioactives. Trois jours d?hésitation, et une décision, « à contrecœur et les larmes aux yeux » : celle de prendre l?avion pour la France, « avec une simple valise et peut-être pour toujours ». Pour ce couple franco-japonais et leur fille, le déchirement est d?autant plus douloureux que la grand-mère ne sera pas du voyage, mais descendra plus au sud, chez son fils à Miako. Pas non plus le grand-père, resté à la capitale, refusant de quitter sa maison pour fuir une menace invisible et impalpable. Ni la sœur, qui avait promis à ses élèves de prendre part à une petite fête jeudi soir. Entre expatriés et Japonais, la lecture du danger n?est pas la même. Ni la possibilité de quitter un navire en détresse. Ou tout simplement, de se figurer un ailleurs.

Seuls quelques rares Tokyoïtes réfléchissent à s?éloigner au maximum de cette centrale qu?on dit désormais hors de contrôle. Souvent ceux qui ont des liens avec l?étranger. Et qui partent vers le sud, sans réussir à convaincre les leurs. Certains se contentent d?y envoyer leurs enfants. Osoda, ingénieur dans la capitale nippone, ne se pose même pas la question. Comme la majorité, il a écouté le dis cours de l?empereur qui s?exprimait hier pour la première fois depuis le drame. Il a surtout entendu l?appel au calme du gouvernement japonais. Tout juste est-il resté chez lui hier, puisque son entreprise en avait offert la possibilité à ses employés. Ce qui, pour cet hyperactif, représente en soi une première. De chez lui, il a passé la journée à regarder les informations, à se renseigner sur Internet. Et se dit « désolé que les médias étrangers relaient des informations fausses et se montrent aussi alarmistes ». Lui « garde espoir ».

Tokyo est calme, trop calme peut-être. Les files d?attente sont plus longues que d?habitude, les transports tournent au ralenti, les quartiers vivent tour à tour des coupures d?électricité organisées par la compagnie Tepco. Et les magasins sont plus vides que d?habitude dans une ville où on peut d?ordinaire acheter tout et n?importe quoi, à n?importe quelle heure et dans n?importe quelle rue. « Il y a rupture de stock de riz, les denrées alimentaires sont réquisitionnées pour les populations sinistrées. » Alors Osoda mange des sashimis, qu?on trouve facilement « parce que ça ne se conserve pas ». Dans les rues de la ville, des collégiens organisent des collectes pour les habitants de la région de Tohoku. Et si les Tokyoïtes ont du mal à se plaindre, c?est aussi qu?ils ont en tête les images effroyables qui leur sont parvenues du Nord. Comme Mayumi, qui y voyage souvent pour son travail et attend avec angoisse des nouvelles de ses collègues. Par chance, elle se trouvait dans la capitale le jour du tremblement de terre.
Anne Roy

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« Même si c’est dans plusieurs années, le Japon s’en sortira »



Chercheur au CNRS et spécialiste de la société japonaise, Jean-François Sabouret analyse le « fatalisme actif » avec lequel la population de l?île vit cette catastrophe. 

Chercheur au CNRS, Jean-François Sabouret est spécialiste reconnu de la société japonaise (1). Actuellement à Paris, il était à Kobé lors du tremblement de terre qui avait fait plus de 6 000 morts en 1995. Pour lui, cette triple catastrophe renvoie les Japonais à leur conception bouddhiste ?du monde.

 

Comment la population japonaise fait-elle face à de telles situations??

Jean-François Sabouret. Les Japonais se considèrent comme un navire en mer?: il y a des gens qui passent par-dessus bord mais il faut avancer, on ne peut pas se permettre de tout bloquer. Le fait qu?ils vivent dans un monde hostile, fragile, et beau en même temps fait partie intégrante de leur culture. Le Japon est un pays de montagne à 80?%. À moins de redevenir des hommes des bois et de repartir dans les montagnes, les Japonais n?ont pas d?autre choix que de construire des centrales nucléaires et des villes près de la mer?: la seule grande plaine (32 000?km2), c?est celle de Tokyo dans laquelle vit un Japonais sur trois. Alors ils se résignent, ce sont des fatalistes actifs, également du fait de leur bouddhisme. Qu?est-ce qui peut résister à des vagues de dix, vingt, parfois trente mètres de haut?? Rien. Il y a des hélicoptères qui survolent la zone, complètement abasourdis parce qu?ils ont les cartes en main et ne retrouvent plus les villages, entièrement engloutis.

 

Qu?est-ce qui va se passer ?dans les prochains jours??

Jean-François Sabouret. Le pays va faire un effort formidable. Il y a, d?une part, ceux qui ont peur de l?explosion nucléaire et qui fuient Fukushima vers le sud, et ceux qui, tout en sachant les risques qu?ils encourent, montent vers le nord pour apporter de l?aide à leur famille. J?ai un ami dont le père est calfeutré dans sa maison à Yamagata, sans électricité, sans chauffage, sans rien, sachant que la température en cette saison doit être d?environ ? 6 degrés. Il n?attend qu?une chose?: que le train soit réparé pour s?y rendre. Les Japonais vont calfater leur bateau pour avancer. Au bout du bout, même si c?est dans plusieurs années, le Japon s?en sortira, sans doute plus fort qu?avant. Chaque séisme est un enseignement. Les bâtiments en dur ont tenu. Le problème, c?est que dans cette région rurale et assez déserte, l?habitat est assez dispersé, avec des personnes âgées qui vivent dans des maisons qu?ils n?arrivent pas à réparer. Bien évidemment, quand une force comme celle du tsunami arrive, on voit partir ces maisons en bois sur l?eau comme de faibles barcasses.

 

Que vont devenir les plus pauvres ?de la région de Sendai ?

Jean-François Sabouret. Si j?étais un peu cynique, je demanderais?: à qui va profiter le tsunami?? La plupart des bétonneurs du pays, ils sont nombreux, sont liés au parti libéral démocrate qui a été battu aux élections il y a un an et demi? Mais le parti au pouvoir, le minshuto, n?est jamais qu?une scission de ce dernier avec un zeste de parti socialiste. Et je suis persuadé qu?il y a des élus, des députés, voire des ministres, qui sont liés à des entreprises de construction?: les enveloppes y circulent très facilement. Ces entreprises ont sans doute déjà fait le plan de racheter leur terrain aux plus pauvres. Imaginez que vous avez tout perdu et que vous n?aviez pour tout bien qu?une maison sur un demi-hectare. Des gens viennent vous proposer de racheter votre terrain contre un deux pièces avec salle de bains et chauffage dans un immeuble aux normes parasismiques. Vous avez quatre-vingts ans, que voulez- vous faire?? Dire non, je ne veux pas vendre ce terrain?? Ou vous résigner?? J?aimerais qu?il y ait une sorte de plan éthique et qu?on reconstruise les maisons là où les gens ont vécu. Mais cela suppose déjà de déblayer la boue. Quand il y a une éruption au sud du Japon (il y a 108 volcans en activité au Japon), quand les cendres retombent, tout meurt. On voit les pauvres gens qui essayent de balayer la poussière et les cendres. C?est incroyable d?opiniâtreté et de volonté. De la souffrance, ils en ont, de la peine, ils en ont. Mais quand on se retrouve seul dans une petite cour de maison et qu?on vient d?enterrer son mari et son épouse, on n?a pas le temps de pleurer.

 

(1) Dernier ouvrage?: Japon. ?La Fabrique des futurs, ?CNRS Éditions, 78 pages, 4?euros.
Entretien réalisé par Anne Roy

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« on a fait des stocks pour trois mois »

Confiné chez lui avec sa femme et sa fille, Olivier témoigne de l?angoisse des habitants de la capitale nippone, entre quête d?informations et désir de se réfugier dans le sud du pays. 

«Ma belle-mère, qui a 77 ans, n?a jamais vu un tremblement de terre pareil. » Vendredi, à 14?h?51, quand il commence à sentir le sol bouger, Olivier, un Français qui vit à Yokohama depuis cinq ans, ne s?inquiète pas. « Au début, c?était comme d?habitude, sauf qu?au lieu de se calmer, ça a duré et c?est devenu de plus en plus fort. Je suis allé dans la pièce sécurisée pour attendre la fin du séisme, j?ai dû retenir une étagère qui menaçait de tomber. Et encore, moi je ne suis qu?au premier étage. Ceux qui, comme ma femme, travaillent dans des tours de trente étages ont pensé qu?ils allaient mourir. » Passées les heures à pied pour rentrer chez soi (tous les transports étaient à l?arrêt et tous les magasins de vélos en rupture de stock) et se retrouver en famille, les frayeurs des répliques ont laissé place à l?angoisse de la menace nucléaire. « Le rôle du gouvernement est à la fois d?informer sur les risques, sans non plus paniquer la population, alors on essaie d?avoir nos propres informations, de se renseigner sur ce que disent les scientifiques sur Internet et, en attendant, on a fait des provisions. On a acheté des vivres pour trois mois, mais les Japonais ont été plus raisonnables que nous. »

Si dans les rues de Tokyo et de Yokohama, la situation semble revenue à la normale, écoles et entreprises n?ont pas encore rouvert leurs portes. « Nous venons de recevoir un mail de l?ambassade de France qui conseille à ses ressortissants de quitter la préfecture de Kanto (Tokyo, Yokohama et leurs environs). Nous n?avons pas encore pu en parler en famille, mais une décision très importante nous attend dans les prochaines heures, nous envisageons d?aller nous réfugier dans le Sud, chez le frère de ma femme. Notre peur, c?est de nous décider trop tard et de se retrouver coincés dans un aéroport. En attendant on surveille la météo : pour l?instant, le vent semble souffler dans la bonne direction. On nous a annoncé qu?en cas de problème, un nuage radioactif pourrait venir sur Tokyo en trois heures. Sans compter les risques très importants de répliques sismiques. »
Anne Roy

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